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JEAN L'HARIDON JOHNNY 140, DEPORTE AU CAMP DE MAUTHAUSEN, compléments


De nouveaux témoignages obtenus il y a peu qui nous amènent à compléter cet article paru en décembre 2024 dans la revue Foën Izella.

Il y a 81 ans, le pays fouesnantais était libéré par la Résistance intérieure mais certains de ses enfants, prisonniers ou déportés ne partagèrent pas la joie de leurs camarades.  Parmi eux, Jean l’Haridon, pas encore 30 ans à l’époque.


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 Fig 1: Jean L'Haridon en 1940


Origines familiales.

 Jean L’Haridon est né à Quimper, impasse St Joseph, le 14 novembre 1914 de Jean L’Haridon, forgeron et de Anne-Marie Carnot son épouse.

.A cette date, ses parents avaient deux filles, Germaine née le 22 mars 1912, rue neuve à Quimper et Audette née le 23 mai 1913 à Bénodet où Jean le père exerce la profession de serrurier.

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Fig 2 : La maison atelier de Jean L’Haridon père, rue Haute Fontaine. Sur les plaques on peut lire « carrosserie-ajustage-maréchalerie- réparation de machines agricoles – bicyclettes location et réparations.


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Fig 3 : Photo de mariage de Jean L’Haridon père avec Anne Marie Carnot, à Quimper le 27 avril 1909


Un autre frère L’Haridon, Corentin, était également installé dans ce secteur du bas du bourg mais comme charpentier de marine. 


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Fig 4 : La famille de Corentin L’Haridon avec son épouse Marie Claudine Nédélec et leurs deux enfants, Corentin (Tintin) et Marcelle.

 

Enfance et jeunesse à Bénodet

Pour Jean, une enfance à Bénodet où il est scolarisé à l’école communale du bourg.


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Fig 5 : 1926 Jean L’Haridon avec ses camarades de classe et son maître M. Laurent Perros


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Fig 6 : 1932, Les deux cousins, Corentin en haut avec le drapeau de touche et Jean en bas footballeur de l’étoile de l’Odet


Obligations militaires

 Le 22 octobre 1935, pour satisfaire ses obligations militaires, il intègre la base aérienne n° 131 de Mourmelon dans la Marne. Il est envoyé en congé le 1er octobre 1937, rayé des contrôles le 15 du même mois et se retire à Bénodet bourg, le certificat de bonne conduite accordé.

2 ans plus tard, Jean L’Haridon est affecté le 25 janvier 1939 à la base aérienne de Nantes, rappelé à l’activité par le décret de mobilisation générale. Il y arrive le 3 septembre 1939.

 De cette période de « la drôle de guerre » on ignore tout sauf sa participation à une mission spéciale en Belgique, le 13 mai 1940, qui lui vaudra la croix de guerre avec citation.

Démobilisé le 9 août 1940, il se retire au 80 boulevard Rabatau à Marseille.


Intégration dans le réseau Johnny et trahison


« De mars 1941 au printemps 1942, le réseau Johnny a joué un rôle primordial dans le renseignement et l’action. Implanté dans le Finistère, il étend en quelques mois son activité entre Nantes, Rouen et Paris. Entre mars et juin 1942, cette organisation est anéantie par une série d’arrestations. Son rôle pionnier ne sera que tardivement reconnu. Le 22 mars 1941, Jean Le Roux établit à Quimper la première liaison clandestine durable depuis la zone occupée. Les Britanniques désignent ce réseau du nom de Jean Le Roux, le Johnny’s Group.

   Entre mars et juin 1942, cette organisation est anéantie par une série d’arrestations. Son rôle pionnier ne sera que tardivement reconnu. » Les agents du réseau Johnny furent des gens ordinaires qui ont dû apprendre, seuls et avec peu de moyens, les bases du renseignement et de la clandestinité. Ils ont payé un très lourd tribut à cet apprentissage de la Résistance.

Alors que la Résistance intérieure s’affirme partout, le réseau Johnny disparaît après douze mois d’une activité intense. Sur 197 agents homologués à la Libération, 53 sont tués, 60 déportés ou internés ».  Emmanuel Couanault « Des agents ordinaires » éditions Locus Solus 2016.


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Fig 8 : Plaque installée en 1955 à Kerfeunteun sous laquelle on peut lire « D’ici fut lancée le 22 mars 1941 la première émission clandestine reliant la métropole et la France libre à Londres ».




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Fig 9 : Courrier du commissaire aux Renseignements Généraux de Quimper J.Moreau


Ce document nous en apprend beaucoup sur la famille de Jean et les circonstances qui l'amènent à revenir à Bénodet.

" le garage de son père étant fermé depuis plusieurs mois" : Jean L'Haridon père avait été contraint d'arrêter toute activité professionnelle à la suite d'un terrible accident alors qu'il convoyait un yacht à moteur de Bénodet à Concarneau. En effet, son pantalon fut happé par l'arbre d'hélice et le jambe fut broyée au-dessus du genou. Soigné dans une clinique de Quimper, le blessé subira l'amputation de la jambe.

On comprend bien pourquoi Jean, le fils, souhaitait revenir à Bénodet.

"Jean L'Haridon accepta d'effectuer quelques petites réparations de moteurs que lui confiaient les anciens clients de son père : D'autant plus que son père décède le 16 janvier 1942 mais à cette date Jean L'Haridon fils avait déjà intégré un réseau de Résistance. Jean L'Haridon intègre le réseau Johnny* le 15 décembre 1941, à la demande de Louis Chavaroc, de Quimper qui fréquentait ce réseau depuis juillet 1940

" On peut penser qu'une corrélation peut être établie entre l'arrestation de M. Chavaroc et son arrestation par les autorités allemandes".

Louis Chavaroc dans ses mémoires personnelles écrit d'ailleurs que lors d'une rencontre avec André Malavoy qui avait remplacé Robert Alaterre et alors que son interlocuteur lui fait part qu'il est submergé par sa tâche, il lui dit "connaître une personne de confiance qui s'était ouvert à moi il y a quelques temps. Je lui présente Jean L'Haridon.


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Fig 10 : Le commerce d'électricité autos de Louis Chavaroc, près du pont Firmin à Quimper. Si Louis Chavaroc parvînt à revenir du camp de Sachsenhausen, ce ne fut pas le cas de son épouse Marguerite qui décèdera au camp de Auschwitz-Birkenau le 14 mars 1943.


" Le 14 février 1942, Jean L'Haridon vient me voir . Je lui dis que Jean-Pierre Lamandé , le radio de Carhaix, s'est évadé et se trouve chez moi. Jean L'Haridon se propose de le prendre chez lui . Je présente Jean L'Harion à Jean-Pierre Lamandé et les laisse en tête à tête dans l'appartement du premier étage. Plus tard nous nous mettons d'accord que Jean-Pierre Lamandé partirait chez Jean L'Haridon à Bénodet le soir même. "

Peu de temps après, alors que Jean L'Haridon semble êtres reparti pour Bénodet, Louis Chavaroc est arrêté dans un café tabac en face de chez lui, la maison cernée et Jean-Pierre Lamandé et Madame Chavaroc arrêtés.

Jean-Pierre Lamandé avait en fait été arrêté depuis un mois à Carhaix, et retourné par les Allemands pour qui il travaillait sous le pseudodyme de Fulla.


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Fig 11: document qui concerne l'arrestation de Jean L'Haridon, à priori chez lui à Bénodet. Parmi les noms "des personnes impliquées dans la même affaire, on relève celui de Marcel Chavaroc mais aussi d'Hervé Nader, député et maire de Concarneau qu'il retrouvera à Mauthausen.


Détentions et déportation


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Fig 12 : Lettre du Préfet du Finistère à « l’ambassadeur de France « nommé par Vichy auprès des autorité allemandes à Paris, Fernand de Brinon

Jean L’Haridon est donc arrêté par la Gestapo à Bénodet le 17 février 1942 après avoir intégré le réseau Johnny le 5 décembre 1941.


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Fig 13 : Fiche d’identité de Jean L’Haridon en allemand – Fort de Romainville.

Puis ce fut la déportation pour le camp de Mauthausen

Aucun document qu’il soit officiel ou familial fait état des conditions de vie dans ce camp qui était un un des plus sévères du Reich.

Les archives municipales de Quimper possèdent un témoignage écrit à postériori (le 30 juin 1951) d’un camarade de déportation bien connu des Quimpérois et des cornouaillais et qui était originaire par son père de la commune de Clohars-Fouesnant. Il s’agit d’Hervé Nader homme politique, homme d’affaires également que nous sommes nombreux à associer aux chais du Corniguel, aux navires pinardiers qui ravitaillaient ces chais de vins d’Algérie, ou au grand hôtel de Cornouaille à Concarneau.

On sait aussi que Jean L’Haridon passa plusieurs mois dans ce kommando de Schwecat.

 

Rapport abrégé sur mon séjour au camp de Schwechat par Hervé Nader

A propos de Schwecat : Ce kommando est proche de l’usine d’aviation Heinkel, une usine importante, bâtie en bordure d’un aérodrome dans la banlieue de Vienne et à 22 kms de Mauthausen.. Ce Kommando est créé le 30 août 1943 pour la construction d'avions et le montage de chasseurs de nuit. Il est fermé en juillet 1944

    « Je n’ai été au camp de Schwechat près de Vienne en Autriche que deux mois environ, soit de septembre à novembre1943, mais ce fut un laps de temps suffisant pour y réaliser l’atmosphère créé par les SS et leurs subordonnés, chefs de blocs et kapos divers.

   Le régime inhumain imposé aux hommes mêmes sans d’affreuses brutalités suffisait à les exterminer rapidement. Qu’on en juge : une semaine de nuit succédant à une semaine de jour, il fallait travailler 12 heures d’affilée, avec un arrêt d’uine demi-heure pour l’absorption de la maigre soupe. Voici le régime alimentaire qui permettait aux hommes de travailler effectivement 12 heures par jour ou par nuit :

-          Matin : breuvage non sucré, sans valeur nutritive, dénommé café.

-          Midi ou minuit : A peu près un litre de soupe : eau et légumes, généralement rutabagas.

-          Soir : 16 h environ. Une ration de pain mangée en quelques minutes et une tranche de saucisson ou portion de margarine.

   En plus des douze heures de travail, dans le camp ou dans les ateliers, l’on était astreint, avant et après le travail, à des appels interminables sous tous les temps. A peine vêtus dans cette Autriche où les hivers sont précoces et rudes, il était courant de demeurer au garde à vous sur les rangs, le matin à la sortie de l’atelier de 6 h à 9 h et le soir avant le départ de 16h à 18 h. Ces stations prolongées sur des jambes nous portant à peine étaient de véritables supplices. Pour un rien, nous subissions toutes sortes de brimades et devions exécuter des exercices divers.

   Après une séance de douches froides où il fallait être propre sans toucher au savon, l’on aurait pu se croire tranquille de 9 heures du matin environ à 15 heures mais souvent vous étiez à peine couchés et endormis qu’une grêle de coups de matraques et votre couverture brutalement arrachée, vous étiez requis pour une corvée à l’extérieure : gare ou dépôts divers. Il fallait décharger du bois ou du charbon. Le retour se faisait vers les 13 h et à quinze heures environ, le branle-bas était général pour la ration de pain et de saucisson, si bien que votre jeûne s’était prolongé de minuit à 15 heures malgré le travail quasi ininterrompu.

 

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  Comme corvée, j’ai également tiré sur le rouleau compresseur pour cylindrer le camp, les hommes remplaçant s les chevaux de trait. Nos forces étant bien faibles, une pierre un peu grosse suffisait à caler les lourds cylindres. A ce moment, véritable retour au temps des pharaons, une grêle de coups s’abattait sur nos pauvres corps décharnés jusqu’à ce que nous repartions.

   L’on conçoit qu’à ce régime, les hommes mourraient quand ils ne se suicidaient pas, désespérés. Les admissions à l’infirmerie se faisaient très difficilement. Des malheureux venus y chercher des soins étaient fréquemment reçus à coups de pieds et de poings et jetés dehors comme des chiens. Ceux qui manquaient de patience et esquissaient un geste de résistance ou de rébellion étaient assommés sinon tués par le rassemblement des kapos accourus. J’ai assisté, consterné et terrifié à ces véritables massacres où des malades sans défense étaient lynchés sans la moindre pitié.

   Près de moi à l’atelier, j’avais un camarade qui tenait debout bien que sentant déjà le cadavre et mourant lentement. J’ai assisté à cette agonie sur pied. On ne l’admettait pas à l’infirmerie mais on lui donnait un peu de pommade et de bandelettes de papier avec lesquelles il se pansait comme il pouvait, prolongeant sa pitoyable existence par son courage.

   J’ai été frappé et battu dans les ateliers de M. Ernst Heinkel, parce que je n’avais aucune disposition pour l’ajustage. Pour « sabotage » des pièces mécaniques, j’ai « dérouillé » plusieurs fois. L’on me frappait sur le bout des doigts avec le marteau que tenait en mains un contre-maître. Il ne fallait jamais perdre de temps. Vous étiez pourchassés jusque dans les water-closets et les hommes était arrachés de leur position accroupie sans avoir eu le temps de de satisfaire un besoin légitime. Tout était prétexte à coups de matraques. A l’atelier pour avoir trouvé à ma place un papier à pansement, au moment du départ (c'était celui de mon voisin mourant), j’ai été battu à rester sur le carreau et emporté ensuite par mes amis.

    Exténué, n’en pouvant plus, faisant de la dysenterie, j’ai été pris en pitié par le secrétaire du camp, fils d’un ancien ministre autrichien, auquel m’avait recommandé un camarade français : Moïse Dufour de Marchiennes (Nord). Je n’ai pas été admis à l’infirmerie mais placé au « kartoffeln-sheller », épluchage des légumes où je suis resté deux semaines avant mon rapatriement au camp de Mauthausen.

  Pour finir, voici le rappel d’une scène qui en dit long sur la mentalité des chefs de bloks et des kapos qui avaient droit de vie et de mort sur nous avec la haute complicité des SS.

  J’allais partir pour Mauthausen. Des camarades français et belges me faisaient leurs adieux avec de grandes marques de sympathie et d’affection. Intrigué par par ces démonstrations, le chef de block, une énorme brute à physique et corpulence de gorille, demande à notre camarade ADAM, journaliste : « Quel est donc ce français auquel vous témoignez tant d’intérêt ?  Réponse : c’est un député français. Ah, très bien, dit le boche, vous allez voir comme je les traite les parlementaires… » Et là-dessus de m’administrer une effroyable correction de coups de poings et pieds qui a pris fin lorsque j’ai fait le mort sur le parquet et que mes amis m’ont emporté.

   De 1945 à 1949, il m’a fallu lutter ferme pour ne pas mourir. Je n’ai donc rien fait pour retrouver nos bourreaux, mais plusieurs de nos camarades s’en sont préoccupés, notamment : M. ADAM journaliste habitant près de la porte de St Cloud à Maris, M Jean-Pierre LAFITTE chez ses parents, tonneliers, impasse Barabde à Perpignan (Pyrénées orientales). Par eux il est facile de retrouver tous les autres camarades susceptibles d’apporter témoignages et précisions : il n’est pas douteux que les SS de tous poils de Schwechat et les exécuteurs de leurs basses œuvres ne méritent aucune pitié ».

 Le 30 juin 1951

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Fig 14 : Hervé Nader alors député - document Assemblée nationale


Retour à la vie civile

Les distinctions


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Fig 15 : Certificate of service signé du Maréchal Montgomery et daté du 6 mai 1946


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Fig 16 : Remise de décoration en 1946 à Jean L’Haridon

Le 11 octobre 1946 Jean L’Haridon épouse à Scaër Henriette Merdy veuve et maman d’une petite fille de 3 ans Jeanne Yvonne.

Le couple aura 2 enfants : Yann né en 1953 et Annaïck née en 1955


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Fig 17 : Un car L’Haridon sur la place de la mairie à Scaër

Jean va très rapidement créer une société de transports « les lévriers de Bretagne » et il sillonnera les routes de l’Europe entière.

Mais le sort sera cruel avec celui qui avait résisté aux pires conditions d’existence à Mauthausen. Il décèdera accidentellement le 30 janvier 1956.


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Fig 18 : Article du périodique ar Soner du 15 février 1956

 


Remerciements : Jeanne Yvonne et Annaïck, les filles de Jean – Une grosse pensée pour Yann -

Martine Berrou et Geneviève Nusinovici pour leurs recherches aux archives.

Marcel Chavaroc pour le témoignage écrit de son père Louis

Sources documentaires : Services historiques de la Défense de Vincennes et Caen – Archives départementales du Finistère - Archives municipales de Quimper.

Documentation familiale.









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© 2019 Renan Clorennec

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