Dans le chapitre précédent, nous avions évoqué l'arrestation de Maurice Capron dans sa maison de Bénodet à Ti Mengleun, et signalé qu'il avait été emprisonné à la prison St Charles de Quimper où on imagine bien les sévices qu'il a put subir.
On le retrouve donc à la prison Jacques Cartier à Rennes. Un témoignage très émouvant.
Texte tiré du document envoyé par papa (c'est Ginette la fille de Maurice Capron qui "parle") de la prison de Rennes (prison Jacques Cartier). Pour information, il faut savoir que pour transmettre ces réflexions et ces demandes, Maurice Capron utilisait une technique très particulière : incarcéré donc, il communiquait avec son épouse par l’intermédiaire d’un livre (ou plusieurs ?) qu’ils s’échangeaient par colis et un petit point au stylo sous certaines lettres permettait de reconstituer mots et phrases. Ce livre a permis aux époux Capron de communiquer pendant l’incarcération de Maurice à Rennes.
« Au cinquantième matin de mon arrestation (le 29 février 1944) je viens causer un peu avec vous. La santé est normale maintenant, mais du 25 mars au 16 avril je suis resté sans colis et ai eu très faim. De plus je ne savais que penser, je me mettais un tas de choses en tête et le moral n’était pas bon. Heureusement le 16 avril est arrivé un fameux ravitaillement qui a remis moral et physique à peu près d’aplomb, s’ils m’ont laissé mon tabac « et il a et … » bien vif merci pour tout le dérangement que cela vous donne, je vous revaudrai cela.
Il me manque : un pyjama, brosse à dents, savon, dentifrice, peigne, serviette de table, savon de Douai et quelques savonnette car je fais ma lessive moi-même, des socquettes en rayonne, une chemise, des deux chemisettes en toile faites par la soeur d’Henri Charretour *, une écharpe grise en laine des Pyrénées pour me servir de polochon.

Fig 1 : "Deux copains dans un canot" : à gauche Roger Cuzon et à droite Henri Charretour. Tous les 2 membres du réseau local FFI. Collection famille Nicolas.
A chaque envoi, mettez les derniers journaux parus : Nord, Bourse, dépêches, Nouveaux Temps, illustrés en colis agricoles vous avez droit à 5 kg. Envoyez plus par le Secours National, car ils donnent ce qu’ils veulent bien.
Envoie moi mes chaussons à sabots noirs de Douai ainsi que ceux que Glu m’as tricotés, dedans cache une ou deux aiguilles à repriser les chaussettes et mets une pelote de laine. Mon sac alpiniste, un jeu de cartes, mets deux livres, un dans lequel tu écris comme moi et l’autre qui servira pour répondre, mets aussi une méthode assimile d’allemand, tu m’enverras l’anglais un peu plus tard. La première doit se trouver sur la table de notre chambre.
Si tu as envoyé des colis entre le 25 mars et le 15 avril fais une réclamation à la poste. Il faudrait que tu viennes environ toutes les semaines à Rennes pour avoir des nouvelles, quant à vous, vous pouvez m’en donner toutes les semaines. Dans le prochain colis quelques pierres à briquet et un paquet de cure dents.
Je viens vous causer un peu de ma vie ici. D’abord le logement : une pièce blanchie à la chaux, quatre mètres sur deux, devant une porte avec deux grands verrous de taille respectable avec deux serrures aussi imposantes que bruyants. En face à une hauteur inaccessible, une fenêtre bien grillagée. Dans le coin à gauche en entrant une tinette est à côté le lavabo à l’eau courante qui sert aussi d’urinoir, par terre sur le plancher quatre paillasses dont la paille commence à devenir inexistante , malgré tout, ni puce, ni poux, ni punaise.
Le matin réveil à 7 heure, on plie les paillasses et on commence à tourner en rond comme des ours en cage. A 9 heures, café et pain : 300 grammes pour la journée. A 11 heure, une demie gamelle d’eau de lavage dans laquelle nage soit rutabaga soit quelques feuilles de choux, à 5 heure la même soupe un peu épaissie par des patates et c’est fini pour la journée. Le dimanche un peu de bœuf. Tu vois que quand on est réduit à ce régime il y a de quoi mourir de faim. A 8 heure coucher obligatoire et silence complet. Durant la journée, on lit un peu, on cause et surtout on rumine et on pense à des tas de choses bien propres à vous donner le cafard.
Pendant que j’y pense classe bien toutes les lettres que tu as reçues épingles-y les brouillons de tes réponses. La maison du 4 septembre est-elle vendue ? Le 15 avril ? Si oui dis à LILY de te faire envoyer les fonds à la société générale à Quimper. Il a dû aussi faire envoyer environ cent cinquante mille francs de titres au dépôt au compte d’avance à la banque.
La seule distraction on peut dire, depuis mon arrivée ici a été mon interrogatoire le 27 mars. On m’a emmené en ville à la maison des étudiants où se trouve la Gestapo. J’oublie aussi de vous dire que je porte maintenant les menottes avec une suprême élégance. Mascart a du vous le dire car il m’a vu à Quimper, c’est lui qui a dû vous prévenir de mon départ pour Rennes. Je n’insiste pas sur l’interrogatoire. Il était inutile que je nie, mais je n’en veux pas à Guennec qui m’a dénoncé, car ils ont des moyens pour vous délier la langue qui sont irrésistibles étant donné que la résistance physique a des limites et ne résiste pas aux tortures. J’en sais malheureusement quelque chose. Je suis remis maintenant. Que Claude*** travaille bien ; il sait que son succès me fera plaisir
Amitiés à tous les copains, dis à Tranchard* que le cru de la prison ne vaut pas son muscadet, amitiés à Kerbrat **.
Roger Tranchard : Roger, originaire de Carhaix, avait racheté avant-guerre l'hôtel des bains de mer (Rue Kerguélen aujourd'hui)à la famille Pennec. **Alain Kerbrat : Originaire de Quimper, il est veuf et capitaine en retraite quand il épouse en 1932, Marie Jéquel dont les parents tenaient l'hôtel Beaurivage et le frère Noël le garage avenue de Kercréven. Il deviendra pendant l'Occupation, à partir du 14 décembre 1941 et jusqu'au 30 juillet 1944, le responsable de la délégation spéciale mise en place par "l'Etat français". *** Claude Capron : fils de Maurice, intégrera également le réseau local FFI.

Fig 2 : Claude Capron. Sans doute un des plus jeunes de la 7° Compagnie.
Photo collection familiale
Dis à Claude de surveiller mes timbres. Voilà le principal de tout ce que j’avais à vous dire. J’attends ta visite avec impatience pour te remettre ce livre. Tous les jours je remettrais un petit mot et maintenant il me reste à dire que j’ai confiance dans tout ce que tu feras et que les enfants auront à coeur de t’aider à supporter cette épreuve. Je vous aime de tout mon coeur, de toute mon âme et cette épreuve ne pourrait qu’augmenter encore mon amour si c’était possible. Je vous embrasse de toute mon âme. Bons baisers à toute la famille.
19 avril 1944: Rien de particulier. La journée s’est passée comme d’habitude, j’ai oublié de te dire de m’envoyer un morceau d’amadou à briquet, il faudra bien le cacher, par exemple, le coudre à l’intérieur des chaussons. A demain, très doux baiser. J’ai oublié de te dire de mettre une main éponge et aussi d’envoyer deux paquets de chicorée à cette adresse : Mme RICOU rue des voyers Dinard et Mme Gautier à Plomeur. Ce sont les parents de mes camarades de prison qui m’ont empêché de mourir de faim pendant la période de disette. L’un est braconnier, l’autre est gendarme ils s’engueulent toute la journée ça fait passer le temps.
Je viens de recevoir un colis, je ne sais qui l’a apporté , il y a tout ce qu’il me faut pour le moment, mais pas de brosse à dents, ni peigne. Merci pour la bouteille vous me gâtez et à ce régime je vais grossir. Mais il faudrait plus de livres aussi, je n’ai pas encore de nouvelles. Vous devez être bien ennuyés pour le pain à Bénodet avec les nouveaux tickets de Paris. Quand tu reviendras à Rennes tu pourras en acheter, mais pas le jeudi. A demain . Bons baisers.
22 avril 1944 : Le docteur m’a fait appeler, il n’a pas voulu me laisser lire ta lettre, il m’a dit d’aller le voir si j’avais mal, j’irais tous les jours.
Demain vingt cinquième anniversaire de nos fiançailles. Te souviens-tu combien j’étais heureux ? Hélas ça a bien changé ! Je pense bien à vous trois et à JoJo. Ginette doit faire bien des courses avec le ravitaillement de toute la famille. Claude a du travail avec son bac. Et toi tu dois avoir beaucoup de travail avec la maison et tous les colis. Les saucissons étaient fameux, tâche d’en avoir souvent. A demain.
Je vous embrasse comme je vous aime.
Hier la journée m’a pas été bonne, noir cafard. Je ruminais des tas de choses. Peut être vais-je avoir des nouvelles si tu m’apportes la valise. Je suis bête, on nous a dit que les colis par poste ou agricoles ne sont plus acceptés à la prison. Et que seuls ceux apportés avaient des chances d’être remis. Il faut que tu fasses comme pour le colis qu’on m’a remis le 12 avril. C’est du reste le dernier. Peut-être viendras-tu aujourd’hui ? J’ai hâte d’avoir un livre et des nouvelles.
28 avril 1944 : Je ne sais ce que je ressens aujourd’hui, j’ai comme un pressentiment et une sale impression. Je pense que je vais bientôt quitter Rennes et partir très très loin d’ici où je serai sans nouvelles. J’espère que ça n’arrivera pas en tous cas je recommande à Claude qui est maintenant le seul homme de la famille, de bien veiller sur sa maman** et sur sa petite soeur *qu’il ne les quitte pas surtout.
Je vous aime et vous embrasse.
Je vous embrasse comme je vous aime

Fig 3 : Photo de 1945 prise dans la maison de ti Mengleun à Bénodet. Claude et Ginette dans le jardin.
Photo collection familiale

Fig 4 : Raymonde et Maurice Capron.
Photo collection familiale
1er mai 1944 : Le cafard continue et j’ai faim, pourquoi ne pas m’envoyer la valise avec à manger et de vos nouvelles dans un livre comme je vous le demande depuis le début. Les colis par poste et agricoles sont toujours interdits. Envoie comme le dernier que j’ai reçu le 20 avril.
Bons baisers.
J'adore cet article même s'il m'a fait pleurer en me mettant à la place de Maurice emprisonné mais aussi de sa famille, forcément morte d'inquiétude. ils ont tout mon respect ! On y sent tant d'amour !!!!! (une petite jeune née longtemps après tout ça et qui n'aurait pas voulu connaitre ça qui me fait relativier nos soucis d'aujourd'hui)